18

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de cette visite, intendant ? Surtout à une heure aussi matinale…

Assis dans son fauteuil, sur l’estrade de sa grande salle d’audience, Pentou s’efforçait d’afficher un sourire de bienvenue. Amonked ne le lui retourna pas.

— Nous souhaitions nous entretenir avec toi, ainsi qu’avec les membres de ta maison. En venant plus tard, nous ne vous aurions pas trouvés.

Ils avaient interrompu le gouverneur alors qu’il s’apprêtait pour la fête. Il avait revêtu un pagne de lin fin long jusqu’à mi-mollets, et avait cerné ses yeux de fard ; toutefois il ne s’était encore paré ni de bijoux ni d’une perruque. Comme d’innombrables autres à Ouaset, sa suite et lui se préparaient pour la courte marche jusqu’à Ipet-resyt. Là-bas, ils regarderaient Amon quitter sa demeure du Sud et progresser jusqu’au fleuve, où, à bord de la barque sacrée, il naviguerait vers Ipet-isout, concluant ainsi la Belle Fête d’Opet.

— Ta présence est toujours un plaisir, déclara Pentou, cependant nous te recevrions bien mieux plus tard, au terme des festivités.

— Franchement, Pentou, le mot « plaisir » est peu approprié à la circonstance. Mon jeune ami Bak va te l’expliquer.

La servante qui disposait des fleurs dans une coupe, sur l’estrade, fut saisie par ce ton péremptoire et lança un coup d’œil furtif à son maître. L’expression de ce dernier était sombre, son corps aussi tendu que la corde d’un arc. Sentant que l’entrevue s’annonçait houleuse, elle se leva bien vite et laissa tomber une fleur, sur laquelle elle marcha dans sa hâte à partir.

Le gouverneur posait sur Bak un regard noir.

— Je ne peux imaginer que tu sois revenu, lieutenant. Je nous croyais débarrassés de ta présence.

— J’avais assuré à Bak qu’il n’aurait pas à se prévaloir de mon autorité. Je te croyais pétri du sens de l’équité et de la courtoisie. Selon toute apparence, conclut Amonked d’un ton tranchant, je me trompais.

Pentou s’empourpra sous le blâme.

— Nous venons te révéler le nom de la personne qui a causé ton rappel à Kemet, annonça Bak.

— Écoute un peu, jeune homme…

Amonked leva la main pour imposer silence à Pentou.

— J’ai pris la liberté de convoquer les membres de ta maison. Dès qu’ils arriveront, nous commencerons.

En des circonstances moins graves, Bak aurait souri. Modeste dans son apparence comme dans son attitude, Amonked savait se draper dans le manteau de l’autorité aussi facilement que sa royale cousine, lorsque le besoin s’en faisait sentir.

— Nous ne te retiendrons pas longtemps, gouverneur, promit le policier. Ce que j’ai à t’apprendre requiert peu d’explications.

 

— Le gouverneur Pentou nie depuis le début qu’un membre de son entourage ait fomenté des troubles au Hatti.

Bak observa Pentou qui occupait l’unique siège installé sur l’estrade, devant laquelle lui-même se tenait, Amonked à ses côtés. Le gouverneur regardait droit devant lui dans un silence de marbre, une main crispée sur son bâton de commandement, l’autre sur l’accoudoir de son fauteuil.

— Son total refus d’y croire – bien que notre émissaire actuel à Hattousas ait confirmé l’accusation – fut l’un de mes principaux éléments de réflexion dans cette affaire.

Bak considéra les trois hommes – Sitepehou, Netermosé et Pahourê – debout devant l’estrade, puis Taharet et Meret assises côte à côte sur des tabourets bas. Tous, hormis le prêtre, avaient été interrompus à divers stades de leurs préparatifs en vue de la cérémonie. Sitepehou, qui s’était levé tôt afin de présenter les offrandes du matin à Inheret, portait le pagne long, les bijoux et la tunique propres à sa fonction ; son crâne ras luisait sous le flot de lumière que déversait une fenêtre haute. Netermosé, qui avait à peine commencé à s’habiller, ne portait qu’un pagne court et un large collier multicolore. Pahourê avait tout juste enfilé un pagne long, un collier et des bracelets.

Les deux femmes arboraient de ravissantes robes moulantes, du lin le plus fin, mais là s’arrêtait la ressemblance. Meret était parfaite, coiffée d’une perruque, ornée de bijoux, prête à quitter la maison. Taharet était en partie maquillée, et peignée à la va-vite. De toute évidence, elle ne s’était pas attendue à une visite – et encore moins à des accusations. Son embarras d’avoir à se montrer alors qu’elle n’était pas à son avantage était pour Bak un présent des dieux.

— Plus révélatrice encore fut la subite aversion que me témoigna dame Taharet, et son refus de me laisser parler avec dame Meret.

— Tu n’es qu’un simple soldat, indigne de ma sœur, lui jeta Taharet, le nez en l’air.

Manifestement, elle était contrariée de ne pas être assise auprès de son époux, place d’honneur qui revenait à la maîtresse de maison. Un oubli de la part de Pentou, que Bak et Amonked avaient renforcé en réclamant des tabourets pour les femmes.

— C’est ce que tu voulais me faire croire, rétorqua Bak en inclinant la tête avec une feinte déférence.

Elle allait répliquer quand Meret l’en dissuada d’une pression de la main.

— Les hommes de la maison exprimèrent tous une méfiance salutaire envers la violence et la cruauté dont sont capables les Hittites, dans leur vindicte. Taharet et Meret, en revanche, ne firent aucune allusion à leur brutalité, alors qu’elles parlaient leur langue, avaient fréquenté les habitants et connaissaient les coutumes de ce pays.

— Tu t’aventures sur un terrain dangereux, lieutenant, l’avertit Pentou sans hausser la voix, mais d’un ton lourd de menace.

— Dangereux pour qui, en vérité ? demanda Bak en s’adressant aux deux femmes.

— Mon épouse est au-dessus de tout soupçon, de même que sa sœur. Les accuser de forfaiture est un affront que je ne tolérerai pas.

— J’accuse l’une de s’être ingérée dans la politique du Hatti. Jusqu’à quel point l’autre l’a suivie, voilà ce que j’espère découvrir. En tout cas, par son silence, elle précipita ton départ d’Hattousas.

Sitepehou étouffa une exclamation de stupeur. Pahourê marmonna une invective. Netermosé avança comme pour venir en aide, semblant ne pas savoir à qui, et son regard hésitant alla tour à tour de Pentou aux deux femmes.

Le gouverneur abattit son poing sur le bras de son fauteuil, faisant sursauter tout le monde.

— C’est un mensonge éhonté !

Bak scrutait Taharet, qui le toisait d’un air de défi, et Meret, assise, très calme, une main sur celle de sa sœur. Le désespoir assombrissait son visage. Le cœur de Bak souffrait pour elle, mais il ne pouvait atténuer son tourment. Ce qui s’était passé à Hattousas était trop grave, une menace pour la paix. Sans même songer aux conséquences politiques, aucun des membres de la maison de Pentou n’aurait survécu si le roi du Hatti n’avait choisi, parce que ses liens d’amitié avec Kemet lui étaient précieux, de fermer les yeux.

Bak pointa son bâton de commandement vers l’épouse du gouverneur.

— Dame Taharet, tu portes une lourde responsabilité dans cette affaire.

— Va-t’en ! cria Pentou en bondissant de son siège. Sors de ma maison ! Ma femme est innocente, et je ne souffrirai plus aucune de ces… de ces calomnies !

De ses lèvres, Bak modula un signal. Psouro et quatre Medjai accoururent.

— Emmenez-la ! ordonna-t-il en montrant Taharet.

Pentou devint livide. On ne procédait pas à une arrestation pour trahison par simple caprice. Surtout lorsque le cousin de Maakarê Hatchepsout en était témoin.

— Non, c’est impossible ! protesta-t-il, mais le ver du doute s’insinuait dans sa voix et dans son regard. C’est faux, vous dis-je !

Taharet le fixait, bouleversée de voir s’évanouir la confiance qu’il lui portait. Alors qu’un Medjai allait se saisir d’elle, elle tomba à genoux devant son mari.

— Je n’ai rien fait de mal, mon bien-aimé, je te le jure !

Il tendit la main vers elle, puis l’ôta lentement avant d’avoir caressé ses cheveux. Elle poussa un gémissement qui montait du plus profond d’elle-même.

Deux Medjai la prirent par les bras pour la contraindre à se lever. Les yeux hagards, elle cria :

— Vous ne pouvez m’arracher à mon foyer ! Je suis innocente !

Bak l’observait avec pitié. Il n’était pas très fier de lui, mais il n’avait pas le choix.

— Tu vivais à Sile sur une importante route commerciale et tu avais appris la langue de nombreux pays, y compris celle du Hatti. Ton père, marchand, vous gardait à ses côtés, ta sœur et toi, pour lui servir d’interprètes. Vous connaissiez tous ceux qui passaient par cette ville frontalière – marchands, diplomates, soldats – et vous saviez leur parler avec aisance. L’une de vous s’est éprise d’un Hittite, et, plus tard, a poursuivi cette liaison pendant votre séjour à Hattousas.

Une grande partie de ces propos n’était que pure conjecture, mais Bak était convaincu d’être tout près de la vérité.

Atterré, Pentou fixait son épouse.

— Toi ? Tu me serais infidèle ? À moi qui te gardais toujours à mes côtés ? À moi, qui te plaçais sur un piédestal et te vénérais telle une déesse ?

Taharet répondit d’une voix étranglée par les sanglots :

— Je n’ai rien fait, rien, dont j’aie à avoir honte !

— Tu m’as trahi, déclara Pentou, froid et sévère.

— Non, je te le jure, répondit-elle en pleurant.

Meret contemplait sa sœur, plus pâle que le lin le plus blanc. Bak ressentait sa douleur de façon presque tangible, et les remords faillirent saper sa détermination.

— Emmenez-la, commanda-t-il à Psouro. Qu’on l’enferme dans la grande prison de Ouaset.

Alors que les hommes entraînaient Taharet, Meret se leva d’un bond.

— Tu dois la libérer, lieutenant. Son seul crime est de m’avoir protégée. C’est moi qui conspirais, au Hatti.

— Meret ! Non ! cria sa sœur.

Pahourê, qui s’était approché de Meret en quelques enjambées, lui dit d’un ton pressant :

— Garde le silence, maîtresse. Il ne sait pas de quoi il parle.

— J’ai fait ce que j’avais à faire, expliqua-t-elle sans paraître les entendre. Non pour moi, mais pour un homme que j’aimais plus que tout autre. Ta supposition était juste, lieutenant. Je suis tombée amoureuse d’un Hittite. Un personnage de sang royal, qui aspirait à destituer le roi et à le remplacer par le prétendant de son choix. Je me suis contentée de porter des messages, mais j’en connaissais la teneur et j’adhérais à cette cause.

Bak serra les dents, s’interdisant de l’exhorter à nier. Par cet aveu, elle venait de sceller son destin, et elle était assez intelligente pour comprendre qu’elle vivait désormais ses dernières heures.

L’intendant plaça un bras protecteur autour d’elle.

— Ne la crois pas, lieutenant. Elle doit à sa sœur tout ce qu’elle possède. Elle dirait n’importe quoi pour la défendre.

Bak, immobile, les observait tous les deux. Il n’osait regarder Amonked. Ils avaient longuement discuté, la nuit précédente ; Bak avait exposé ses conclusions et son plan d’action, Amonked avait formulé des suggestions, puis son approbation finale. L’idée du policier portait ses fruits. Sa conviction que Meret ne laisserait pas sa sœur souffrir à sa place se révélait fondée. Un seul point demeurait incertain, or la réaction de l’intendant venait de l’élucider.

— Ne me laisseras-tu donc jamais tranquille, Pahourê ? s’emporta Meret en se dégageant de son étreinte. Je ne permettrai pas que Taharet paie pour moi.

Pentou les considérait, les sourcils froncés, soit qu’il doutât des aveux de Meret, soit qu’il s’interrogeât sur le comportement de son intendant.

— Étais-tu mariée à ce Hittite ? demanda Bak.

Elle secoua la tête.

— Je l’avais connu jadis, à Sile. Il était le secrétaire d’un ambassadeur qui faisait de fréquentes allées et venues. Quand mon père découvrit notre amour, il insista pour que j’épouse un autre homme, de Kemet. Plus tard, celui-ci mourut. Ma sœur et moi vînmes nous installer à Ouaset. Après son mariage avec Pentou, elle me prit dans sa maison, à This, puis m’emmena avec eux à Hattousas. Là-bas, je retrouvai mon ancien amour, et nos sentiments ne firent que croître.

— Dame Meret ! l’exhorta Pahourê.

Il la prit par le bras pour tenter de la détourner de Bak. Elle le foudroya des yeux, inébranlable.

Bak savait combien cet aveu devait lui coûter. Il demanda d’une voix douce :

— Un jour, tu m’as confié que tu avais perdu celui que tu aimais, et que tu ne savais ce qui lui était arrivé. Était-ce de lui que tu parlais ?

Elle se mordit la lèvre, baissa la tête et acquiesça d’un murmure.

Si son amant avait été percé à jour et convaincu de trahison envers son roi, Bak imaginait le sort qu’il avait subi. Meret était à l’évidence parvenue à la même conclusion.

— Pourquoi ne nous as-tu pas laissés en paix ? s’écria Taharet. Fallait-il donc que tu brises notre vie ? Nous étions rentrés depuis longtemps de ce maudit pays. L’incident était oublié. Pourquoi avoir exhumé cette vieille histoire ?

Bak fit signe aux Medjai de la libérer.

— Un homme a été tué pour que le secret de ta sœur soit préservé.

— Tu as accusé Taharet, alors que tu savais depuis le début que j’étais la coupable ? l’interrogea Meret.

Il endurcit son cœur pour affronter le regard lourd de reproches, de confiance trahie.

— Elle avait beaucoup trop à perdre – la richesse, la position, la sécurité – pour courir un tel risque. Et elle se montrait beaucoup trop protectrice envers toi.

— Qui est mort à cause de Meret ? voulut savoir Taharet. Le marchand hittite ?

— Oui, Marouwa. Nous ne saurons jamais s’il avait l’intention de la dénoncer. Mais quelqu’un le craignait et a agi en sorte qu’il se taise à jamais.

— Ce n’est ni ma sœur ni moi, je le jure par Amon, assura Taharet, qui scrutait néanmoins Meret comme si elle redoutait soudain qu’elle eût été poussée au meurtre.

Pentou, implacable dans son silence, considérait son épouse de l’air froid et distant qu’il eût réservé à une étrangère.

— Des hommes ont peut-être perdu la vie par suite de ton inconséquence, dame Meret – et, sans l’ombre d’un doute, beaucoup en ont été victimes à Hattousas. Mais, pas plus que ta sœur, tu n’as versé le sang de tes propres mains.

 

Bak regarda Psouro dans les yeux, lui signifiant de rester sur le qui-vive. Puis il lança :

— L’assassin de Marouwa n’est autre que Pahourê.

Des murmures stupéfaits, des jurons étouffés se succédèrent. Nul ne demeura impassible, excepté Amonked et les Medjai. L’intendant, quoique surpris, réussit à émettre un rire ironique.

— Pourquoi lui, entre tous, aurait-il tué un étranger ? demanda Pentou, incrédule.

— Il désirait que dame Meret se sente une dette à son égard, afin qu’elle lui accorde sa main. Il aspirait à jouir d’une position respectable au sein de ta maison, à devenir un membre de ta famille. Or il ne pouvait y parvenir qu’en l’épousant, elle, la seule femme libre de ton entourage.

Meret fixait, consternée, l’intendant qui se mit à ricaner.

— Ne l’écoute pas, gouverneur. Il cherche à mériter sa réputation de succès. Il n’a trouvé personne à accuser, alors il se rabat sur moi.

Pentou, hésitant, croisa le regard d’Amonked. Il ne lut rien de rassurant dans son expression sévère.

— J’ai entendu dire qu’une fois qu’on a tué, la deuxième paraît plus facile, et la troisième plus encore, poursuivit Bak, méprisant. Est-ce vrai, Pahourê, d’après ton expérience ?

— Tu parles de manière énigmatique, lieutenant.

— Je parle du scribe-inspecteur Ouserhet et du prêtre Meri-amon, que tu as aussi assassinés. En outre, tu as ordonné à Zouwapi de se débarrasser de moi.

— Je n’ai jamais eu affaire à personne du domaine sacré. Pourquoi aurais-je voulu la mort de ces deux hommes ? Ou la tienne, d’ailleurs ?

— De peur d’être accusé de vol et de trafic d’objets rituels.

Pentou et les membres de son entourage écoutaient, sidérés. Pahourê s’esclaffa :

— Tu divagues ! Tu serais bien en peine de prouver que je les connaissais.

— De ton propre aveu, tu avais rencontré Marouwa à Hattousas. Tu as connu Ouserhet lorsqu’il a fait halte à This ; tu ne le craignais pas encore, à l’époque – tu te sentais en sûreté, loin du lieu où d’autres œuvraient à l’accomplissement de ton plan. C’est lorsque ses soupçons se sont portés sur Meri-amon que le prêtre et lui ont dû mourir.

— Et comment me serais-je lié avec ce prêtre ?

— Meri-amon avait grandi à Abdou, comme toi. Comme son ami Nehi. Dans cette petite ville, tout le monde se connaît. La présence de ta sœur là-bas et celle des parents de Meri-amon vous donnaient de nombreuses occasions de vous retrouver et de définir vos plans. J’ai envoyé un courrier en aval, la nuit dernière, et j’en aurai confirmation d’ici quelques jours.

— Tu ne peux rien prouver, affirma Pahourê.

— Il n’en a pas besoin, intervint Amonked. Il lui suffit de te déférer devant le vizir et de porter son accusation. Ma parole attestera de sa véracité.

Abasourdi, le gouverneur interrogea :

— Pahourê aurait volé Amon ? Il aurait commis trois assassinats ? Je ne peux le croire. Et qu’avait-il à espérer en épousant Meret ?

— Ce n’était qu’une étape. Grâce à cette union, il aurait été considéré comme le frère du gouverneur de This. Il pouvait s’installer chez toi à Ouaset ou dans une autre belle demeure à Mennoufer et, peu à peu, commencer à utiliser la fortune tirée des objets volés dans le domaine sacré. Ayant acquis la richesse et un haut rang social, il lui aurait été facile de côtoyer ceux qui marchent dans l’ombre de la reine, puis de se hisser à une position d’influence et de pouvoir. En tout cas, c’est ce qu’il croyait.

Pentou, assis droit et raide dans son fauteuil, considérait Pahourê avec méfiance mais refusait encore de se laisser convaincre.

— Dans quelle mesure es-tu certain de ce que tu affirmes, lieutenant ?

Bak adressa un hochement de tête à Psouro, qui ordonna à deux Medjai de se poster à côté de l’intendant. D’un sifflement, il appela Hori et Kasaya, qui attendaient dans la pièce voisine. Lorsque les deux jeunes gens furent entrés, Hori, souriant, montra une jarre rouge à long col comme celles utilisées au pays d’Amourrou, dont Ougarit constituait le port principal.

— Nous avons trouvé cette jarre enterrée dans le jardin, derrière l’autel du dieu Inheret. Les rouleaux qu’elle renferme décrivent une propriété située à Ougarit, dont le propriétaire est désigné sous le nom de Pahourê…

L’intendant enfonça son coude au creux de l’estomac d’un des Medjai qui l’encadraient et assena un coup de genou dans l’entrejambe de l’autre. Leurs lances résonnèrent sur le sol tandis qu’ils se pliaient en deux. Avant que quiconque ait pu réagir, il courut vers la porte. Hori tenta de lui barrer la route, mais Pahourê, d’un coup d’épaule, le projeta contre Kasaya. La jarre rouge se fracassa par terre et les papyrus roulèrent dans toutes les directions, tandis que l’assassin, d’un bond, s’échappait de la salle d’audience.

Tout en se lançant à sa poursuite, Bak hurla à Psouro et aux deux Medjai indemnes de le suivre. Il franchit la porte avant eux et aperçut, à l’opposé de la cour intérieure, Pahourê qui disparaissait par un portail au sommet d’un escalier. Malgré sa taille épaisse, mesure de sa réussite, l’intendant n’avait rien perdu de la vivacité et de la force acquises durant sa vie de marin sur la Grande Verte.

Bak traversa la cour à toutes jambes, à la profonde stupeur d’un serviteur aux bras chargés de pains frais, et se précipita dans l’escalier en colimaçon. Il entrevit Pahourê qui dévalait les marches. Le chemin était chichement éclairé, les paliers encombrés de grosses jarres d’eau aux formes allongées et de vases arrondis, moins poreux, servant à conserver la nourriture. Derrière, Bak entendait la course rapide de Psouro et des Medjai. Il perçut un bruit sourd, un juron, une jarre se mit à rouler. Une exclamation triomphale lui apprit qu’un des hommes avait rattrapé le récipient avant qu’il ne dégringole le long de l’escalier.

Arrivé au bas des marches, Pahourê écarta une vieille servante de son chemin et s’engouffra dans une antichambre. Bak redoubla de vitesse, mais l’intendant avait trop d’avance. Il ouvrit la porte d’entrée à la volée et se précipita dans la rue fourmillante, où la foule convergeait vers Ipet-resyt.

Jetant un coup d’œil en arrière, Bak vit Psouro et les Medjai débouler de l’escalier. Sitepehou courait derrière eux, offrant un spectacle insolite, paré qu’il était de son plus riche costume de prêtre. Hori et Netermosé le talonnaient de près.

Tout en priant pour que Pahourê n’ait pas l’idée de prendre un otage, Bak lui donna la chasse dans la rue encore plongée dans les ombres du matin. Au-dessus des maisons à un ou deux étages qui la flanquaient, Kheprê à peine levé déroulait des rubans rouges et jaunes sur l’horizon oriental. Les odeurs du pain chaud, du fumier et du fleuve montaient dans l’air tiède.

Pahourê fonçait vers Ipet-resyt. Il repoussa un homme qui portait un petit garçon sur ses épaules, maudit trois jeunes femmes marchant côte à côte et bouscula un couple âgé. Des protestations éclataient sur son passage, des enfants qui gambadaient derrière leurs parents s’arrêtaient pour le regarder. Un gamin plus grand passa sa tête par une porte ouverte. Un sourire espiègle aux lèvres, il allongea la jambe pour lui faire un croche-pied. Au lieu du rire indulgent auquel il s’attendait, il reçut une gifle à la tempe qui le fit chanceler.

Bak ne ralentit pas. Il savait qu’Hori réclamerait de l’aide pour quiconque en avait besoin.

En approchant de la cour extérieure du temple, Pahourê ralentit et regarda autour de lui comme pour prendre ses repères. Il bifurqua à droite, vers la partie nord du mur d’enceinte. Bak le suivait toujours et, lui aussi, observa à la ronde.

Une foule dense emplissait la cour dans l’attente du plus grand des dieux, de sa fille et de son fils terrestres, qui sortiraient sous peu du sanctuaire. Bak ne pouvait distinguer l’allée processionnelle au-delà, mais la cohue devait être aussi imposante tout le long du chemin menant au fleuve. Là-bas, d’autres badauds se seraient massés sur la berge, admirant la nef royale, la barque d’or d’Amon et les navires qui haleraient les deux vais seaux jusqu’à Ipet-isout. Sur l’eau, une flottille de petits bateaux attendait sans doute le moment de se joindre à la procession.

Quand Pahourê tourna au coin de la cour, Bak se trouvait à une trentaine de pas derrière lui. L’un après l’autre, ils traversèrent la partie nord de l’allée processionnelle, par où le cortège était arrivé onze jours plus tôt.

La clameur des trompettes annonça au monde que le cortège quittait le sanctuaire. Un murmure d’excitation s’enfla dans la cour alors que douze porte-étendards apparaissaient sous le pylône, dans le mur d’enceinte massif. Bak ne voyait rien au-dessus des têtes, excepté les statues d’or étincelantes qui surmontaient les hampes des drapeaux, les longues oriflammes rouges flottant sur le pylône, et un nuage d’encens.

Pahourê tourna encore à l’angle de la cour et courut vers la foule, puis, obliquant à nouveau, il monta sur un large talus qui séparait les spectateurs de plusieurs groupes d’habitations, clos par un mur blanc.

Bak ne discernait plus aucun signe de Psouro, des Medjai ou de Sitepehou, derrière lui. Ils avaient dû tenter de couper par la cour et se trouver bloqués.

L’herbe était détrempée ; souvent, il s’enfonçait jusqu’à la cheville dans des flaques laissées par la décrue. Dans son renouveau, la verdure surgie de la terre gorgée d’eau était drue, luxuriante, trop tentante pour être ignorée par les hôtes des habitations voisines. Une bonne dizaine d’ânes broutaient, attachés à des piquets ; un vieux berger et son chien, assis sous un acacia, observaient la multitude tout en surveillant un troupeau de chèvres et de moutons qui paissaient l’herbe tendre.

Pahourê remonta son pagne pour être plus à l’aise et courut vers le troupeau, poursuivi par Bak. L’eau jaillissait sous leurs pieds qui martelaient le sol, éclaboussant leurs jambes. Le chien se mit à aboyer et le bétail devint nerveux. Quelques personnes se tournèrent dans leur direction, mais la plupart étaient si concentrées sur la procession imminente qu’elles ne pouvaient être distraites. Les trompettes résonnèrent une seconde fois et les acclamations montèrent en l’honneur des souverains, qui sortaient d’Ipet-resyt après une semaine de rites célébrant leur naissance divine et leur puissance spirituelle régénérée.

Un superbe bélier blanc, son ventre laineux tout crotté de boue, se mit à trotter vers le fleuve, croyant éloigner les siens d’un danger. Le troupeau se regroupa pour le suivre, forçant Pahourê à s’approcher des spectateurs qui bordaient l’allée. Le chien lança des aboiements frénétiques et entreprit de poursuivre les bêtes. Le vieux berger se leva et se mit à vociférer en agitant le poing. Les moutons et les chèvres qui fermaient la marche accélérèrent, poussant les autres à avancer. Le public se retourna, mais un autre appel de trompettes ramena les regards vers la cour, où Amon quittait sa demeure du Sud.

Bak espérait que Pahourê resterait sur le talus, à l’écart de l’allée processionnelle, et qu’il ne retournerait pas vers le temple. Il ne voulait pas semer la perturbation en avançant à contre-courant au milieu des prêtres, des danseuses et des musiciens et, surtout, se retrouver face à Hatchepsout. Alors, l’intendant parviendrait à s’enfuir – et, pour Bak, cela ne serait que le commencement des ennuis.

En dépit des appels désespérés du vieillard, le chien avait rejoint le bétail ; tout excité, il aboyait au milieu des dernières bêtes, qui bêlaient de terreur en s’égaillant dans toutes les directions. Plusieurs faillirent même renverser Pahourê. Bak, lui aussi pris dans la mêlée, tâchait de ne pas perdre le fugitif de vue.

Le bélier fit volte-face et chargea tête baissée sur le chien. Avec un glapissement aigu, celui-ci s’enfuit, la queue entre les pattes. Moutons et chèvres, affolés, se ruèrent parmi les spectateurs, piétinant de leurs petits sabots pointus les pieds chaussés de sandales. Les gens se dispersèrent malgré l’approche de la procession. Les hommes hurlaient et s’énervaient en essayant de refouler les animaux, tandis que les enfants riaient aux éclats. Les soldats rompirent leur haie pour prêter main-forte.

L’allée processionnelle, vide jusqu’au bord de l’eau, offrait à Pahourê une tentation irrésistible. Il jaillit d’entre les spectateurs et fonça sur la voie large, recouverte d’éclats de calcaire scintillants. Bak fendit la foule à son tour, ouvrant sans le vouloir un chemin au bélier. À sa droite approchaient les porte-étendards conduisant la procession. L’estomac noué, il s’élança après Pahourê, qui courait à toutes jambes. Le fleuve s’étirait à moins de cinquante pas devant lui.

Soudain, les soldats de part et d’autre rompirent les rangs et se précipitèrent sur le chemin. Bak crut d’abord qu’ils allaient poursuivre Pahourê, puis il comprit : la moitié du troupeau avait suivi le bélier à travers la foule et envahissait la voie, devant la procession qui approchait.

Horrifié à l’idée de la catastrophe imminente, le sergent responsable cria à ses hommes :

— Sortez-moi ces maudites bêtes de là !… Le bélier ! clama-t-il en s’arrachant presque les cheveux. Attrapez-le ! Éloignez-le ! Égorgez-le, si vous ne pouvez pas faire autrement !

Les soldats, dont beaucoup étaient novices en la matière, tentèrent de repousser le bétail vers les spectateurs ; au lieu de quoi ils provoquèrent sa débandade. Les hommes et les femmes installés le long de l’allée avaient sans doute conscience de la gravité de la situation, mais, à l’exemple de leurs enfants, ils commencèrent à rire. Même Bak était sensible à la cocasserie de cette scène, tout en se doutant qu’il en serait tenu pour responsable. Surtout s’il ne capturait pas le coupable.

 

À force de persévérance, Bak avait réduit l’écart entre Pahourê et lui. Devant eux, la nef royale était amenée contre la berge, au bout de l’allée processionnelle. Derrière la coque en bois luisant, rattachée à celle-ci par d’épais cordages, la barque dorée d’Amon oscillait doucement sur l’onde. Et devant, les dix barges de halage étaient retenues par des piquets fichés dans le limon. Chacune avait été huilée et repeinte. Des oriflammes colorées flottaient aux mâts et aux étais.

Le pont de la barque sacrée s’élevant au-dessus de la rive, les prêtres à la proue voyaient parfaitement les soldats courir après le bétail sur l’allée processionnelle. Tout de blanc vêtus – hormis deux d’entre eux, qui arboraient une peau de léopard sur leurs épaules –, ils s’alignèrent le long de la rambarde, consternés par cette bousculade.

Les marins de la nef royale bénéficiaient encore d’un meilleur point de vue. Loin de montrer la gravité de mise en la circonstance, ils riaient de bon cœur devant ces efforts frénétiques pour rassembler des chèvres et des moutons entêtés. Les spectateurs sur la rive, eux, tendaient le cou pour distinguer ce qui se passait.

Pahourê approchait du fleuve ; d’un coup d’œil par dessus son épaule, il se rendit compte que Bak le talonnait. Devant, les vaisseaux lui barraient la route ; toute retraite était coupée. Il courut sur la rive bourbeuse, longeant la coque de la barque sacrée.

— Hé, toi, là-bas ! brailla un soldat. Tu n’as pas le droit… Et toi… ! tempêta-t-il en repérant Bak.

— Police ! s’écria le lieutenant, qui brandit son bâton de commandement à la vue de tous. Arrêtez cet homme ! C’est un criminel !

Les spectateurs se pressèrent contre la haie de lanciers et ceux-ci, au lieu d’aider Bak, durent repousser la foule pour dégager la voie réservée aux membres de la procession.

Maudissant la curiosité qui privait si souvent l’homme de sa raison, Bak continua sa course. L’intendant, désemparé, s’était arrêté près de la proue de la barque sacrée. Ce moment d’hésitation lui fut fatal. Bak se jeta sur lui. L’intendant l’esquiva, glissa et tomba dans les eaux limoneuses.

Il remonta à la surface, hors de portée, et leva les yeux. L’avant doré de la barque d’Amon se dressait loin au-dessus de lui. La proue effilée était surmontée d’une immense tête de bélier à cornes retournées, symbole du dieu, émergeant du lis sacré. L’idole peinte arborait sur son crâne le disque solaire et sur son front le cobra dressé. Une réplique en bois d’un plastron multicolore pendait à son cou.

Les traits de Pahourê s’assombrirent, comme s’il sentait le souffle du dieu courroucé sur sa nuque. Il nagea au-delà de la proue, puis, se maintenant sur place, scruta la rive opposée, si lointaine. Rares étaient ceux qui auraient tenté la traversée et plus rares encore ceux qui l’auraient réussie – surtout s’ils étaient à bout de forces après une longue course. Bak, ressentant la lassitude dans tous ses membres, le guettait de la berge, prêt à continuer la poursuite dans le fleuve.

Les prêtres sur la barque se penchaient avec inquiétude à la rambarde pour mieux voir les deux hommes. Bak partageait leur crainte. Par-dessus les vivats des spectateurs, on entendait déjà les tambours qui marquaient la cadence de la procession, ponctués par les sistres et les claquoirs.

Pahourê prit sa décision. Nageant à contre-courant, il disparut derrière la barque dorée. Bak enfonça sa dague dans l’étui afin de ne pas la perdre, jeta son bâton de commandement et plongea. Il refit surface et contourna la coque, repéra l’intendant qui fendait l’eau avec vigueur le long de la paroi étincelante. Aux yeux d’un nageur, elle ressemblait à un mur d’or massif, orné de scènes montrant Hatchepsout louant son père céleste.

Tout en avançant, Bak entendait à travers l’eau dans ses oreilles les voix animées des gens sur la rive, conjecturant sans doute où Pahourê et lui étaient passés, les intentions du criminel, l’endroit où tous deux reparaîtraient. Le policier ne pouvait imaginer ce que Pahourê espérait gagner. Il ne parviendrait pas à traverser le fleuve et, dès l’instant où il poserait le pied sur la terre ferme, il serait pris. Il était perdu, d’une manière ou d’une autre.

Devant lui, l’intendant dépassait les doubles rames ornementales, recouvertes d’une mince feuille d’or où étaient ciselés le lis sacré et les deux yeux d’Horus. Alors qu’il laissait derrière lui la seconde tête de bélier, montée sur la poupe étroite, il aperçut Bak et s’enfonça sous l’eau. Bak recula en battant des jambes afin de s’accrocher à l’une des rames, de crainte que Pahourê ne cherche à l’entraîner vers les profondeurs. Quelques prêtres couraient d’un bord à l’autre de la poupe et se penchaient pour le voir, affolés à l’idée qu’il puisse briser la rame gracieuse.

Pahourê refit surface un peu plus loin en amont et se propulsa à longs gestes rapides. Au mépris de ses muscles douloureux, Bak continua lui aussi. L’intendant semblait se diriger vers un acacia surplombant le fleuve, que Bak avait remarqué le jour où il était venu là en compagnie de Netermosé.

Même si Pahourê atteignait cet arbre et réussissait à se hisser sur la rive, il ne pourrait s’échapper. Trop de gens suivaient sa progression en courant sur le talus. Cependant, Bak tenait à capturer le meurtrier lui-même.

Pahourê agrippa une branche, qui s’inclina sous son poids. Bak le rejoignit juste à temps pour le retenir par les jambes. L’intendant, s’accrochant de toutes ses forces, tenta de se débarrasser de lui à coups de pied. Les mains de Bak glissèrent, se refermèrent sur les chevilles du fugitif en même temps qu’il entendait le craquement sec du bois qui rompt. La branche céda, et Pahourê se retrouva dans l’eau jusqu’à la taille.

Un sourire dur mais victorieux aux lèvres, Bak leva les yeux vers son prisonnier. Il ne lut pas la peur sur les traits de Pahourê, seulement une volonté farouche de lutter jusqu’à son dernier souffle. Sur la berge, où des spectateurs accouraient, plusieurs soldats armés les avaient rejoints, ainsi que quatre hommes, aux muscles noueux, chacun chargé d’un roc arrondi – les concurrents d’un concours de lancer.

Le soldat le plus proche leva sa lance et, les lèvres serrées dans sa détermination, la projeta avec vigueur. Au même instant, Bak entendit un choc qui lui fit présager le pire. Pahourê, soudain inerte, glissa dans l’eau pendant que l’arme filait au-dessus de son épaule. Au moment où il sombrait sous la surface, Bak vit qu’il avait le côté du crâne fracassé.

Stupéfait, il fixa le soldat, qui paraissait tout aussi surpris. Derrière, il remarqua alors les lanceurs de pierres ; l’un d’entre eux souriait d’un air de triomphe, les autres l’entouraient en le couvrant de louanges.

Le sang de Thot
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